EXPO CTAC

Chambres adolescentes au départ, c’est l’idée de croire en l’avenir, c’est-à-dire en sa jeunesse et de rêver avec elle à une autre société possible, sensible. Au départ, c’est l’envie toute simple d’aller écouter les adolescent.e.s chez eux, dans ce « petit chez eux » que représente déjà la chambre familiale, à cet âge des grands bouleversements et changements de la vie. Nous sommes tous passés par là, n’est-ce pas ? Que reste-t-il de cette période plus ou moins bien traversée ? Qu’a-t-elle laissé en nous, permis ou empêché ?

Cette exposition propose à chacun de revenir sur sa propre adolescence, son aspect intime, parfois intemporel, mais aussi daté, ancré sur une époque. Ces jeunes âgés de 12 à 19 ans sont issus de la génération Z, ils vivent ce qu’aucune autre génération n’a vécu avant eux. Ils ont le monde/smartphone connecté en poche, ils sont en permanence géolocalisés, surveillés, notés, évalués, ils ont connu, comme le dit Souleymane, « le silence total » d’une planète confinée et à l’arrêt et ils avancent avec la perspective inquiétante d’une planète de moins en moins respirable. C’est beaucoup. Et ils nous ont beaucoup, beaucoup parlé. D’eux, de leurs pairs, mais aussi de nous, les adultes, du monde, du meilleur et du pire. C’est ainsi que ce projet s’est transformé en aventure humaine, se déclinant au fil des résidences en portraits écrits, sonores, en centaines de photographies, mais aussi en vidéos, libre expression des jeunes et d’un site internet de travail, véritable zone de partage du voyage sur 4 années.

En 2020, Marie Bluteau des éditions la Martinière jeunesse propose de nous attendre pour le livre. Une confiance en promesse. Un laisser-faire créatif inspirant. Le livre éponyme, sorti en septembre 2024, accompagne et soutient cette exposition en lien direct avec le Salon du livre et de la presse jeunesse de Seine Saint-Denis.
Quand Aurélie Thuez nous invite à installer toute l’aventure Chambres adolescentes au Centre Tignous d’Art Contemporain, qu’elle dirige, c’est d’abord la joie qui s’impose. Nous voulions du grand, du beau pour les jeunes, une grande visibilité de leurs pensées ; nous voilà comblées et promues commissaires d’expositions. Impressionnant. Comment faire ?

C’est ensuite la panique débarque. Mais c’est normal la panique lors d’une première expérience et cela nous raccorde admirablement à ceux et celles que nous avons voulu valoriser et qui chaque jour et avec courage les traversent ces débuts permanents.
Pour construire l’exposition, nous sommes revenues à l’entrée en chambre. À cette joie des jeunes de nous accueillir dans leur antre, leur caverne, leur bulle, leur atelier d’art, leur refuge comme ils nommaient leur espace personnel. « Entrez, entrez, bienvenue », c’est ainsi qu’ils nous invitaient chez eux et c’est ainsi que la visite commence pour s’arrêter net comme le projet devant un écran. Mars 2020, la crise sanitaire nous enferme tous et c’est en visio que nous commencerons les entretiens. Ce nouvel outil social, puis de travail, va offrir une forme sonore au projet et l’ancrer dans une historicité. Au printemps 2020, nous étions en chambres adolescentes confinées et nos rushs d’entretiens prirent une dimension mémorielle et sociologique, c’est pourquoi nous avons choisi de les montrer. Personne n’oubliera, et encore moins la jeunesse totalement ignorée par le gouvernement dans ses discours au peuple. Invisibles, inaudibles, les jeunes ne sont dans la lumière que lorsqu’ils sont champions ou délinquants, c’est pourquoi nous sommes efforcées de déployer 21 singularités de jeunes personnes que nous avons eu la chance rencontrer entre 2020 et 2023. Et c’est tels des illustres, des VIP que nous avons souhaité les éclairer, en grande pompe, mais sans fioritures ; en immenses, moyens, petits formats photographiques, en textes, en vidéo, en documents et portraits sonores, en installation et en livre.

Pour les deux artistes invités, ce fut une évidence. L’amitié, l’admiration, l’alchimie des univers nous guidèrent vers eux. Et ils nous firent l’honneur et l’amitié l’un et l’autre d’accepter notre proposition allegretto, de réaliser à partir du vaste « matériau » Chambres adolescentes une œuvre singulière.
L’artiste illustrateur-graphiste, Stéphane Kiehl avec MUR MÛR, crée une matrice de libre expression adolescente. En noir et blanc, les mots, les pensées des jeunes se déversent et sont une proposition aux visiteurs et visiteuses de poursuivre l’échange, la conversation au sens noble du terme entre adolescents et adultes.
Carole Chaix avec Cuisine de femmes artistes s’empare de tout ce qui n’est jamais montré. C’est l’inverse d’un rendu de travail artistique. C’est la cuisine créative. La nôtre. La sienne. La vôtre finalement. Et si nous parlions de nos métiers tous et toutes ? De cette part cachée de tâches multiples qui nous incombent et qui ont tendance à augmenter alors que les budgets pour la création baissent et que les entreprises du CAC 40 compressent leurs salariés. Dans son oeuvre « poétique, politique, affective » et dans un espace féminin autrefois assigné aux arts ménagers, Carole Chaix s’amuse, dénonce et nous embarque avec malice.

Cette exposition va vous prendre un peu de temps. Il conviendrait qu’elle vous en prenne. Nous vous invitons à en prendre, car ce que la jeunesse ici nous offre est immense. Le courage de s’exposer dans une société ou le jugement violent et intempestif fait rage. Croyez, nous, ils sont admirables, vraiment.

Jo Witek & Juliette Mas, artistes et commissaires d’exposition